Aimé Cesaire est le plus célèbre père fondateur de la Négritude, mais surtout le seul dépositaire encore vivant de ce grand courant littéraire et philosophique. Il va consacrer sa vie à valoriser la composante africaine de son identité et de sa culture. Erigé contre la colonisation, il donnera aussi un sens à l'émancipation de son peuple.
Aimé Fernand David Cesaire, est né le 26 Juin 1913, à Basse Pointe, en Martinique, dans une famille de six enfants, érudite mais plutôt pauvre. Dès son jeune âge, Aimé Cesaire bénéficie d'une instruction riche, aux lettres surtout, dans sa famille.
Cette instruction sera sûrement la clé qui lui ouvrira les portes du Lycée Victor Schoelcher, en Martinique, où il entre en tant que boursier. Cette expérience sera l'occasion pour lui de cotoyer, pour la première fois, Léon-Gontrand Damas.
Aimé Cesaire fera de brillantes études au Lycée Victor Schoelcher. Celles-ci lui permettront, en 1931, de partir à Paris, en Classe Préparatoire Littéraire, au Lycée Louis Le Grand, en plein coeur du Quartier Latin. Aimé Cesaire y rencontrera, très vite, Léopold Sédar Sengor, qu'il ne quittera plus et qui deviendra un de ses plus célèbres disciples d'écriture.
1. La Négritude dans la Pensée et dans la Littérature
Arrachés à leur environnement natif, Cesaire et Damas redécouvrent leur identité et, au contact des autres étudiants africains, ils prennent particulièrement conscience de l'importance de la composante Africaine de cette identité. C'est cette prise de conscience qui caractérisera les fondements de sa pensée et qui motivera, sa vie durant, son action politique et anti-colonialiste.
Dès septembre 1934, Cesaire fonde le journal L'Etudiant Noir, avec un collectif d'étudiants afro-caribéens tels que Guy Tirolien, Léon-Gontrand Damas, Léopold Sédar Sengor ou Birago Diop. Véritable manifeste pour leur mouvement intellectuel, c'est dans ce journal qu'apparaîtra le terme "Négritude" pour la première fois. C'est aussi dans ce journal que Aimé Cesaire fera ses première prises de position à l'encontre de la politique coloniale française et de la Colonisation en général.
C'est dans ce "réactivisme" face à l'oppression coloniale que la pensée de Aimé Cesaire va naître. Il dira lui même: « Je suis de la race de ceux qu’on opprime ». C'est aussi autour de cette idée que vont se poser les fondements de la "Négritude".
En 1935, l'année de son entrée à l'Ecole Normale Supérieure, Aimé Cesaire commence l'écriture de son Cahier d'un retour au pays natal. Cette oeuvre de poésie demeure la plus célèbre de l'auteur et explique aussi pourquoi on lui prête systématiquement le titre de poète, alors même qu'il est un dramaturge et un essayiste d'aussi grande envergure. Force est de reconnaître que ce recueil de poème donne une structure stylistique au courant littéraire qu'il a initié.
C'est en 1938 que Cesaire achève l'écriture de son Cahier d'un retour au pays natal. Au même moment, il achève aussi son mémoire de fin d'étude à l'ENS, qu'il consacre à l'étude du "Thème du Sud dans la littérature négro-américaine des USA”. Agrégé de Lettre, il retournera au pays natal l'année d'après, pour enseigner au Lycée Schoelcher, en Martinique, en même temps que sa femme, Suzanne Roussi.
L'oeuvre littéraire d'Aimé Cesaire sera aussi marqué par le Symbolisme, un courant littéraire mené, entre autres, par André Breton, un proche et grand admirateur de l'auteur.
Arrivé en Martinique, Cesaire fondera la Revue Tropique en 1941. Par le biais de cette revue, il s'élèvera contre une certaine stigmatisation de l'Antillais, associé à un cliché fataliste qui voudrait l'obliger à avoir de lui même l'image que veut bien lui donner le colonisateur et, le cantonner dans une certaine incapacité à assumer lui même son devenir. Ce thème de la pensée d'Aimé Cesaire, sous trames de réaction anti-colonialiste, constituera le second pilier de l'idéologie négritudiste, developper plus tard par d'anciens élèves de Cesaire, tels que Edouard Glissant, Daniel Maximin ou Frantz Fannon.
2. L'application politique de la pensée cesairienne
Contrairement à Léopold Sédar Sengor, Aimé Cesaire ne s'est jamais retrouvé à la tête de l'appareil de pouvoir de son pays, ni au niveau local, ni au niveau national. Il n'a occupé ni Secrétariat d'Etat, ni Ministère, ni Présidence Nationale ou Territoriale pendant son parcours politique. Il n'a jamais convoité ces fonctions non plus. Cet état de fait pèse beaucoup aujourd'hui sur son héritage politique qui demeure le plus riche dans les posséssions françaises d'Outremer et dans la Caraïbe.
Doyen des Maires de France jusqu'en 2001, à la tête de la Ville de Fort-de-France (Capitale de la Martinique), Aimé Cesaire n'a pas souhaité reconduire son mandat à cette date et s'est retiré du coeur de la vie politique. De même, il eu le record de longévité à l'Assemblée Nationale où il fut Député de la Martinique, de façon inintérrompue, de 1945 à 1993. Son action politique sur ces deux mandats constituent un socle idéologique solide qui définit à la fois, l'Histoire de l'Outremer Français au XXème siècle et l'émancipation des territoires concernés, assortie d'objectifs politiques, philosophiques, culturels et économiques précis, poursuivis aujourd'hui par toutes les sensibilités politiques locales.
Aimé Cesaire avait compris, depuis les années 1930, les véritables enjeux politiques de son pays. Sa première action politique, certainement la plus efficace, la plus visionnaire mais aussi la plus controversée dans son entourage, est son combat en faveur de la départementalisation pour la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion, qu'il obtient dès 1946 (mise en application en 1947).
L'idée avait déjà été débattu à la fin du XIXème siècle, mais l'entourage idéologique et politique de Cesaire y était fermement opposé, à quelques exceptions près, car on y voyait une néo-colonisation préjudiciable et contraire à la doctrine prônée. Cependant, Cesaire avait compris que l'obtention directe d'un statut autonome ou indépendant se ferait au prix d'un certain conflit de classes, basé autour d'une problématique raciale, qui se ferait au bénéfice exclusif des békés qui se distinguaient déjà par leur clientélisme et leur conservatisme. C'est la volonté d'une modernisation démocratique autour d'un véritable progrès économique et social populaire qui a motivé ce choix alternatif de Cesaire, au moment même où le Monde connaissait des changements radicaux sur la politique coloniale. L'Histoire n'a jamais cessé de corroborer l'excellence de ce choix marginal.
Mais Cesaire n'a jamais été un fataliste de la départementalisation. Dès 1956, en rupture totale avec les politiques communistes, dont il était un partisan idéologique jadis, Aimé Cesaire fonde le "Parti Progressiste Martiniquais", centré sur la question de l'Autonomie Territoriale sur laquelle il s'est lui-même essayé et, qui restera jusqu'à la fin du XXème siècle, le principal parti politique de l'Île.
A l'origine de nombreux débats, cette théorie d'évolution statutaire rencontre de nombreux échos favorables auprès de toutes les sensibilités politiques antillo-guyanaises, comme en témoigne d'ailleurs "La Déclaration de Basse-Terre" qui est, à ce jour, l'ébauche la plus formelle de cet aboutissement politique.
Par ailleurs, même si le PPM ne constitue plus la première force politique en Martinique, le Mouvement Indépendantiste Martiniquais qui occupe cette place à ce jour, s'est tant formé autour des théories césairiennes que Cesaire lui-même avoue que "d'une manière générale [il] respecte les décisions prises par le PPM", mené par Alfred Marie-Jeanne. Aujourd'hui, la plupart des discussions autour de l'évolution statutaire vers l'autonomie, déjà réussie par Saint-Martin et Saint-Barthélémy par exemple, se font autour des idées natives du PPM.
Sur le plan économique, Aimé Cesaire s'est montré favorable à une intervention énergique dans l'économie, mais à court terme, pour parer aux mutations rapides et urgentes de la société et de l'économie. La preuve à été faite lors de l'expansion brutale de la ville de Fort-de-France, après la Guerre, consécutivement aux changements des lois du marché et à l'affaissement du secteur primaire sucrier. Cet interventionnisme méthodique semble aussi servir de modèle aux partis d'obédience autonomiste tels que le MIM.
Enfin, l'autre action forte de la politique de Cesaire est celle qu'il a mené en faveur de la Culture. Cette politique culturelle, basée sur un organe fort, le SERMAC, s'est attaché à revaloriser les moeurs et les traditions musicales, littéraires, orales et artisanales natives de l'ïle, oeuvrant ainsi en faveur de l'émergeance d'une véritable identité martiniquaise. Cesaire à aussi restaurer le patrimoine jadis dénigré ou controversé de l'Île. Ce travail est particulièrement collossal lorsqu'on connaît la grande tradition de transmission orale des techniques et des langues dans les sociétés créoles caribéennes et plus particulièrement en Martinique. Là aussi, cette revalorisation du patrimoine et de l'Identité à trouver preneurs dans les îles voisines, en entraînant une véritable prise de conscience collective autour de ces questions.
En définitive, Cesaire se révèle être le plus grand intellectuel caribéen du XXème siècle. Son oeuvre ne se limite ni à la Pensée, ni à l'Art, mais s'étend dans presque tout les domaines qui définissent l'avenir d'un pays. De plus, il lègue à l'Humanité un témoignage exceptionnel du génie Noir et une litanie de prières pour exhorter chaque peuple à son émancipation propre.